Garder le cap ! Les Bretons de Paris (en cours)

Ma révélation : 

Début 2018, extra-muros, alors que ma vie tente encore de trouver un sens, je découvre avec bonheur la mission Bretonne de Paris. Tout de suite, je me sens en phase. L'excellent accueil d'Evelyne et de tous les bénévoles, la décoration très locale de la grande pièce aux meubles bretons me transportent loin dans le temps. Je revois ma grand-mère tourner la clé des compartiments du vaisselier pour y prendre quelques belles assiettes en faïence de Quimper et quelques verres en cristal. J'imagine aussi le travail patient et passionné du sculpteur qui a gravé sur les portes des motifs immortels, de ceux qui rappellent une vie de marin, ou encore j'imagine mon arrière grand-mère, que j'ai à peine connue, faisant, sur le bilig ou à même la cheminée, des piles de crêpes pour toute la maisonnée, sans jamais oublier les amis. Bientôt, le son du biniou réveille mes membres endormis et sans réfléchir, j'exécute quelques pas de danse. Alors du plus profond de mes racines bretonnes, je sens monter en moi la bienfaisante sève ancestrale, nourricière, infinie, qui semble me dire " N'oublie jamais d'où tu viens, memes-tra ! (tout de même en breton) " Non ! Jamais !! Comment un fruit pourrait oublier l'arbre qui l'a porté et longuement nourri, solidement enraciné dans la terre qui a bercé tant de générations ! Il y a 3 ans, forte de cette impulsion indélébile, je m'installe à Brest, la ville Océane, pour un retour aux sources solidement enraciné, dans une totale immersion. J'y suis toujours aujourd'hui, pleinement heureuse. Trugarez vraz !!! à la mission bretonne!  

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La mission bretonne : Une terre d'asile à Paris 

1947, début de la période meurtrie de l'après-guerre. Soucieux du bien-être de ses compatriotes bretons ayant dû quitter leur terre natale pour se reconstruire, avec l'espoir secret de retourner "au pays", au plus vite, le Père Elie Gautier fonde la Mission Bretonne. Aussitôt, le terme de mission s'impose : être un lieu d'accueil pour tous les bretons et bretonnes qui arrivent dans la capitale, que ce soit pour se refaire une santé matérielle, ou pour honorer une démarche professionnelle. Ainsi, les jeunes dentelières venaient-elles présenter leurs modèles aux expositions de modes annuelles, les belles parisiennes en robes d'apparat et chapeau fruité n'auraient loupé ces occasions pour rien au monde ! Aussi, les religieuses de la mission bretonne adoptent t'elles une attitude responsable vis-à-vis de ces jeunes ouvrières, leur offrant, le temps de leur séjour, le gîte et le couvert. Peu à peu, la Mission devient le "point de chute", le rendez-vous nécessaire de tous ceux qui ont besoin de repères, de soutien moral et spirituel. Elle va même jusqu'à leur accorder une aide matérielle. Chacun y trouve le réconfort, la convivialité, et la solidarité si chère au pays breton. Elle diffuse aussi quelques formations comme la comptabilité ou le secrétariat (sténodactylo à l'époque), et en règle générale, tout ce qui peut aider une personne à mieux s'intégrer en dehors de son village...car en ce temps là, pour les bretons , prendre le train seul et déambuler dans la gare est déjà une épreuve. Fidèle à la tradition locale, elle organise chaque année, en juin, aux arènes de Lutèce, la procession du pardon de Saint-Yves. En 1970, la "Mission bretonne" devient " Mission bretonne/Ti ar Vretoned (maison des Bretons) pour se consacrer au maintien de la culture. Tout au long de l'année, de très nombreuses activités sont proposées (concerts, fest-noz/deizh, soirées contes, veillées de chansons bretonnes et repas en communs, bagadou, cours de breton etc.) "Il se passe toujours quelque chose à la mission bretonne" est devenue la devise, dans une atmosphère à jamais conviviale et chaleureuse... ce que je confirme!!!   

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Survivre, c'est s'adapter : 

En Bretagne, comme ailleurs, la guerre a sévit avec ses privations et ses héros morts pour la France. Le 18 juin 1944, à l'arrivée des troupes américaines, tout le monde a crié "Victoire! Libération! soulagement!" la vie va enfin reprendre son cours...mais différemment. La pauvreté, les pertes, la douleur, laissent des traces indélébiles et ô combien de coeurs meurtris, touchant particulièrement la zone rurale qui n'a plus de quoi sustenter les autochtones malgré toute la bonne volonté à vouloir tout reconstruire. Et cela dure depuis plus d'un siècle. Déjà, vers 1850, des familles bretonnes se sentent contraintes de quitter leur terre pour vivre "des jours meilleurs" à Paris, ville des lumières et capitale de la mode qui attire nombre de tailleurs et couturières. Paris, c'est le luxe et l'argent ! Ainsi, en 1820, Auguste de Gourcuff, un Quimperois  s'installe à Paris où il crée la première compagnie d'assurance française, qui emploie bon nombre de citoyens bretons. En Bretagne, l'agriculture est limitée au strict minimum, les pêcheurs ne peuvent plus être payés, et les industries n'ont plus les moyens nécessaires pour reprendre leurs fonctions. Alors nourrir toutes ces familles, souvent nombreuses, devient chaque jour un défi des plus éprouvants. 

Vers 1860, l'arrivée du chemin de fer va faciliter les choses. Si des solutions existent ailleurs, alors pourquoi pas ? Entre 1850 et 1950, près de 200.000 Bretons choisissent de se donner l'opportunité d'une nouvelle vie ailleurs. En 1920, ils sont près de 350.000 âmes, disséminés dans toute l'île de France. Vouloir partir et tout recommencer, c'est une chose, mais quand le mal du pays vous prend, vivre dans un autre monde que le sien relève du parcours du combattant. Ah ! et " par dessus le marché", il y a cette Bécassine qui fait bien rire les "Parigots"... mais les bretons, beaucoup moins! L'éloignement rend les choses difficiles, chaque jour est porteur de nouvelles " surprises" souvent révélatrices du manque forcé d'éducation dans les campagnes. Quant à la religion, si elle maintient le moral au beau fixe... ou presque, il faut malgré tout agir, bouger, travailler, quelque soit les possibilités offertes. Au breton, le travail n'a jamais fait peur, qu'il soit bien ou mal rémunéré. Là où il y a des brèches, il faut se glisser : domestiques, manœuvres sur les chantiers, ouvriers d'usine, et combien de femme livrées contre leur gré à la prostitution, tout est bon pour peu que le courage fasse vibrer les "moteurs". Alors comme en Bretagne, on se solidarise : des réseaux d'entraide, des amicales, des associations, fédérations, et même une presse en breton vont voir le jour : cela, il l'on déjà vécu lorsque la culture bretonne a été interdite... Mais une chose est sure! si on devient parisien d'adoption, on reste avant tout breton dans son coeur. Pour tous, le quartier de la gare Montparnasse est un point de ralliement, une clé de voûte aux lignes harmonieusement fuselées. A propos, saviez-vous que le tréma sur le U de "Montparnasse Bienvenüe" est un clin d'oeil breton? Et oui! En 1895, l'ingénieur des Ponts et Chaussées a pour fonction de donner vie au projet de chemin de fer métropolitain de la ville de Paris. En 1900, la première ligne de métro "Porte de Vincennes-Porte Maillot" ouvre alors ses portes. 

Désillusion :

Mais tout celà, ce n'est que le côté pile de la médaille ! Le côté face, c'est tout autre chose. Si la vie à la capitale devient pour certain, une opportunité, pour d'autres, c'est une totale désillusion! Bien conscients de cette réalité, François Cadic, un Morbihanais exilé à Paris, entreprend de fonder en 1897 dans le quartier de Montparnasse, autour de l'église "Notre dame des champs", la paroisse bretonne de Paris. Son engagement est clair : encourager l'entraide et la solidarité au sein de la communauté bretonne, réunis autour de leur église, comme ils le seraient en Bretagne. La vérité, c'est que les bretons de Paris se sentent comme échoués sur "une île" qui ne veut pas d'eux : des employeurs qui promettent "la lune", exploitation et escroquerie à foison, conditions de travail proches de l'esclavage. Les bretons "parias" sont voués à tous les dangers, sans autre considération que la promesse d'un peu d'argent au bout. Les pires corvées les attendent chaque jour, quand ils ne sont pas exposés aux produits toxiques et autres "avaries" humaines. Ils se partagent des taudis insalubres de planches et de terre. Comme il parait loin, le "Vieux pays" si chaleureux! 

Aussi, la paroisse bretonne va t'elle développer toute une gamme de services à tous petits prix ou même gratuits pour les plus démunis : Épargne volontaire, mutuelle, assistance médicale, maternité, conseils juridiques, ainsi que des réductions dans les épiceries bretonnes ou dans les grands magasins. On crée aussi des jardins ouvriers, on rend visite aux malades. La paroisse possède sa propre bibliothèque de littérature bretonne qui accueille aussi les réunions mensuelles ainsi que des conférenciers. Enfin, un réseau de logeuses donne asile aux chômeurs. De 20 000 adhérents en 1900, ils sont plus de 40 000 lorsque en 1929, suite aux ravages de la guerre, et de l'après-guerre, les portes de la paroisse se ferment. En 1947, un autre bon samaritain breton : l'abbé Elie Gautier, fonde sur le modèle de la paroisse, la Mission Bretonne. 

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Emprunte d'éternité : 

Quelqu'un d'autre ne les a pas abandonnés, ayant définitivement laissé son emprunte au sein de la communauté  de Paris/Ile de France: En 1900, Anne de Bretagne, descendante des Montfort, devient l'emblème de la commune de Mont-fort l'Amaury où un pardon en costume local lui sera consacré, généralement suivi d'une fête où sont invités des artistes bretons et autres poètes. A Paris, sa statue orne le jardin du Luxembourg depuis 1847. La crypte royale de Saint-Denis agrée finalement le tombeau d'Anne de Bretagne et de son époux Louis XII, en un superbe monument sculpté, tout près du gisant de Du Gesclin. 

Auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire de la Bretagne et des langues celtiques, Th.Malo de la Tour d'Auvergne, né à Cahaix-Plouguier, premier grenadier de la république sous Napoléon, reçoit les honneurs d'une statue permanente au musée du Louvre. Au cimetière du Père Lachaise, Fulgence Bienvenūe, père du métro Parisien et de la gare Montparnasse, ainsi que Marcel Cachin, directeur du journal " l'humanité, ardent défenseur de la langue bretonne et  fondateur de l'association : Bretons émancipés de IF; et d'autres encore trouvent leur dernière demeure à Paris... Quand le cimetière de Montmartre accueille Ernest Renan, celui de Montparnasse le cinéaste Alain Resnais, et celui de Montrouge l'écrivain Henri Queffelec, la crypte des Invalides reçoit en son sein l'amiral Ronarc'h ainsi que le général de Lariboisière qui donnera son nom au célèbre hôpital parisien. Enfin, la Tour d'Auvergne et l'officier de marine A.JM.Thévenard se couchent définitivement au Panthéon. D'autres noms bretons sont aujourd'hui bien connus dans la capitale : Si Corentin Cariou (homme politique) devient une station de métro, Matignon et Carnavalet sont aujourd'hui hôtel et musée, rappelant les grandes familles bretonnes de l'époque.

 

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Soutien professionnel : 

* Depuis 1953, la maison de la Bretagne, située rue de l'Arrivée, dans le quartier de Montparnasse, joue un rôle essentiel dans économie, le tourisme d'affaire et la promotion de la culture. Au terme d'un dur labeur, elle a su, comme la Mission bretonne, redorer notre blason à Paris. Parrainée par le conseil régional, elle représente les 5 départements bretons et propose régulièrement des forums, conférences et des expositions. 

* En 1958, Geneviève de Blignières ouvre un foyer de Jeunes travailleuses. Plus qu'un centre d'accueil provisoire, il a pour but de les aider à définir leur projet professionnel et de limiter la sensation de déracinement. 

* En 1962, Jean Le Guillec, président de " Gaz de France"  crée l'association des cadres bretons à Paris  

* En 1965, Aimé Perrot devient artisan chauffeur de Taxi, exemple qui se sera suivi par nombre de ses compatriotes. La société de taxi du Pays Pourlet (originaire de la région vannetaise) est née. 

* Rue Castagnary dans le 15e, une ancienne poissonnerie adopte sur son enseigne l'image du phare du Croisic. Mathurin Méheut réalise une fresque sous-marine dans la salle du restaurant de poissons/fruits de mer Prunier (dans le 16e), ainsi qu'un service de table aux motifs de faune marine à la mode bretonne, que l'on retrouvera aussi sur les menus et jusqu'aux cendriers. A Montparnasse, le Café Ty Jo est le rendez-vous de la culture bretonne, des écrivains et des artistes, et bien-sûr, on danse local! 

Deux fédérations encadrent aujourd'hui les nombreuses associations, amicales et sociétés bretonnes de la capitale : la Fédération des sociétés Bretonnes de Paris et l'Union des sociétés Bretonnes en Ile de France. 


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La culture breizhoned à Paris : 

* En 1961, au sein de l'association " Ar Pilhaouer " deux journalistes du "pays" crée le prix Breizh. L'objectif étant de mettre en valeur la littérature locale, Paris découvre alors les grands auteurs: Pierre Jakez-Hélias, Georges Péros, Xavier Grall, Yann Queffélec et bien d'autres. 

Aujourd'hui, la "Breizh touch" se retrouve dans nombres d'actions médiatiques et culturelles: depuis le Pardon de la Courneuve ou la fête de la Saint-Patrice,  jusqu'aux nuits Celtiques au Palais Omnisports de Bercy, en passant par les fest-Noz associatifs et autres événements sportifs: Intermèdes musicaux au stade de France : on salut Nolwenn Leroy au passage! 

Installée dans les locaux de la Maison de Bretagne, l'association Paris-Breton a créé son propre site web qui fait le lien de toute l'actualité dans les cinq départements. Outre la mise en avant du patrimoine, on y trouve aussi les événements culturels et sportifs, et des promos touristiques. 


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Juste retour des choses :   

De nos jours, près d'un million de nos concitoyens représentent notre belle région, disséminés à travers Paris /Saint-Denis/ et toute l'île de France. "s'exiler" dans la capitale ne constitue plus tant aujourd'hui une nécessité qu'une opportunité, les facilités de transport et le service internet faisant le reste pour garder le lien avec le Pays; ... car la Bretagne, on l'aime, on ne la quitte jamais ! Où que l'on se trouve, elle est là, quelque part en nous. Sa sève nous nourrit, imprègne chaque recoin de notre âme, telle une flamme inextinguible, issue du fond des âges. Aujourd'hui, la Bretagne est devenue la première région touristique de France, on se délecte sans modération de ses produits du terroir, on apprécie la gentillesse innée des Bretons, on loue leur courage à ne jamais baisser les bras quelles que soit les circonstances. En Bretagne, on se sent bien, on vit, on respire, on y revient toujours et c'est maintenant elle, qui fait rêver les parisiens ! 

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