Tréguier : les portes du temps

Balade dans la ville : 

Nous sommes mercredi, c'est jour de marché à Tréguier dans le Trégor. Paniers d'osier multicolores et robes rayées font face au stand de miel des apiculteurs locaux. Les gravures d'artistes semblent lancer un défi au temps des fleurs éphémères qui les regardent peut-être avec envie. Un peu plus loin, les fruits rivalisent de parfums parfois enivrants. En longeant la rue principale, une farouche concurrence semble vouloir détourner votre attention des produits du terroir et autres articles de décoration. Au coeur de la rue Renan et de la rue Treuz, les pavés résonnent encore du "grouiiinng"  des roues de fiacres et du "clap clop" des sabots de bois des chevaux. La place des halles se souvient des allez/ retours des charrettes à bras chargés de nourritures. Le défilé de couleurs et de senteurs fait écho avec les demeures anciennes des armateurs qui parcouraient les mers du sud à la recherche de trésors exotiques et vendaient ou échangeaient les produits bretons. La rue en pente qui a l'air de vouloir remonter les siècles, montre au visiteur plusieurs styles d'architecture depuis l'époque des chevaliers du moyen-âge jusqu'à celle de la noble renaissance, en passant par des périodes classiques ou baroques. Texture feuilletée des tuiles chysteuses, chaleur des murs de  granit, toits d'ardoises reluisants pour mieux faire glisser la pluie, détails des cheminées traversées par O combien de père Noël, ainsi que des portes et des fenêtres sculptées ou gravées de motifs bien de chez nous, traces indélébiles des menuisiers d'antan. Même goût du détail sur les céramiques. Et bien sûr, ces volets de couleurs que nous aimons tant. Il y a aussi des lucarnes... A quelques pas la "maison du tisserand" évoque à elle seule le temps des échanges commerciaux d'étoffes et de toiles à voiles. Surmontée d'une tour ronde, elle a fière allure sous son toit en quatre parties, abritant pans de bois et murs de granit. Avec force détails dans ses boiseries, baies vitrées, son escalier de marbre et ses belles fenêtres en ogive, elle a tout d'une belle maison à colombages. Classée monument historique et vestige du XVIe siècle, elle accueille aujourd'hui (sauf erreur...) des ateliers d'artisanat. 

En face, se tient la maison d'Ernest Renan : la maison à deux étages met en évidence un bel encorbellement de fenêtres avec simulation de balcon, le tout dans une belle harmonie de pierre et de bois aux tons variés. Le genre de maison dans laquelle beaucoup d'entre nous rêverions d'habiter. A défaut d'y vivre, vous pourrez toutefois y entrer.  C'est maintenant (depuis 1947) un musée national labellisé " Maison des illustres  en 2011", consacré à la vie et à l'œuvre de l'auteur. Le jardin est à voir également. A quelques pas, sur la place de Coatcolvezou, se dresse l'une plus ancienne maisons à pan de bois de la ville. 

Boulevard Anatole Le Braz, un autre monument d'époque, devenu aujourd'hui l'hôtel de ville donne une seconde vie au palais épiscopal ou ancien évêché datant du XVe siècle. Doté d'un bel escalier de pierre, on remarque aussi une statue d'Armel Beaufils représentant une femme qui accroche sa coiffe sur sa chevelure. De même, la salle du conseil rend hommage aux personnalités bretonnes ayant vécu dans le Trégor. Il y a aussi un restaurant. Le bois de l'évêché porte le doux nom de bois du Poète. C'est là que repose Anatole Le Braz, en témoigne sa stèle funéraire. Toujours dans le style romantique-émotions,  " La Pleureuse" est le nom du monument aux morts situé place du Général Leclerc. Sa statue représente une femme trégorroise en pleurs vêtue de sa cape de veuve et de sa coiffe locale, la « touken ». Quoi de plus noble pour se souvenir des chers disparus ? 

" L'église, certes, était des plus belles parmi celles des alentours

Avec son cloître et ses chapelles, sa grandes nef et ses trois tours;

On admirait déjà ses stalles, son lutrin de chêne sculpté, 

Et bien des riches cathédrales semblaient pauvrettes à côté" 

" C'est par ce poème qu'un autochtone amoureux de sa ville décrivait son église dont le clocher, alias le "clocher du diable" est relié à une légende. Comme dans beaucoup d'endroits en Bretagne...si on en croit la rumeur... on raconte  que le prêtre local aurait passé un pacte avec le diable: En effet, ce brave chrétien rêvait que son église soit la plus belle de Bretagne et souhaitait pour son clocher une flèche "qui se perd dans l'infini jusqu'aux nuages blancs, telle une grande fleur de granit , un doigt de pierre qui vous montre le paradis". Découragé de ne pas y parvenir, il finit par accepter l' "aide" de Satan en échange des âmes Trégorroises. Mais lorsque la flèche fut construite, le diable (qui se fait toujours avoir ! Pas si malin que ca...!) fut chassé de la ville à coups de prières... il semble même que les prières aient tinté jusqu'aux oreilles du roi Louis XVI qui aurait financé l'édifice... 

A voir la très belle verrière et le décor pictural de la voûte ornée de rosaces, apaisée par les notes feutrées des orgues. Sur la chaire, des statuaires d’anges contribuent aussi au repos des âmes. Remarquez aussi le tombeau de quelques chevaliers du 15e siècle ainsi que les armoiries maritimes, et enfin le tombeau, avec gisant, de Jean V.  L'office de tourisme nous précise: "Le cloître est de style gothique flamboyant : les galeries, couvertes d’un berceau en bois, s’ajourent de 48 arcades, divisées par une colonnette centrale, en deux baies trilobées surmontées d’un trèfle à quatre-feuilles. Elles abritent un musée lapidaire constitué de 16 gisants gothiques d’abbés et de chevaliers."

Au fil de ses ruelles pavées, Tréguier nous aspire pour un temps au coeur de son histoire, pour un lâcher-prise réussi hors de notre époque actuelle, avec son dédale de ruelles pavées garnies de maisons à pans de bois et escaliers nichés dans les venelles, ayant souvent appartenu à des célébrités locales; le tout dans un périmètre restreint. Parsemée ca et là de boutiques d' artisans d’art, de librairies de charme, ou rivalisent bouquinistes et autres brocanteurs, elle porte le passé au présent. Ainsi, Ernest Renan, Madame Taupin (place de Martray), le duc Jean V (rue Colvestre), l'écrivain Henri Pollès (rue des perderies) ont toujours leur maison bien vivante à Tréguier. Louis René Caradeuc de La Chalotais, président du Parlement de Bretagne  en visite dans la ville, a donné son nom à une rue. Unique à Tréguier, la maison Saint-Pierre est réalisée sur le modèle des maisons à pondalez de la noblesse commerçante. Un style qui a fait ses preuves à Morlaix.  

Son port, bordé de villa de la Renaissance a eu aussi son heure de gloire et de prospérité. 

Un peu d'histoire : 

Au 5e siècle, le moine gallois Tugdual que l'on appelait aussi Saint-Pabu fonde un monastère du nom de Lan Trecor qui devient Lantrégor et donne son nom au pays de Tréguier. Evêque en 542, puis canonisé, il fait partie des sept saints fondateurs de la Bretagne. Tréguier est donc aujourd'hui l'une des étapes du « Tro Breiz » : 

* Saint-Malo fondée par saint Malo (ou Maclou),

* Dol-de-Bretagne fondée par saint Samson

* Saint-Brieuc fondée par saint Brieuc

* Tréguier fondée par saint Tugdual

* Saint-Pol-de-Léon fondée par saint Pol Aurélien

* Quimper fondée par saint Corentin

* Vannes fondée par saint Paterne (ou Patern)

En 848, Nominoé situe le siège de l'évêché à Tréguier, faisant ainsi de celle-ci la capitale historique et religieuse du Trégor. Mais dans les années qui suivirent, Tréguier est entièrement détruite par les Vikings et abandonnée par ses habitants. Le siège épiscopal devient vacant. C' est alors que, en 970, Saint-Gratien élève une cathédrale dédiée à Tugdual. De cet édifice est resté aujourd'hui la tour romane, appelée aussi tour d’Hastings. La cathédrale actuelle date du XIVe siècle et voit apparaitre son cloître un siècle plus tard. Dans cet intervalle, apparait un autre saint, et pas des moindre puisqu'il s'agit de St Yves: (1253-1303, protecteur des pauvres et saint patron de toutes les professions de justice et de droit, canonisé en 1347. Il est le premier saint breton officiel). C'est cet évènement qui va faire de Tréguier une terre de pèlerinage pratiquée entre autres par des des personnes célèbres comme Charles de Blois, Duguesclin, et bien-sur Anne de Bretagne. 

Au XVe siècle, à Paris, est fondé le collège de Tréguier qui accueille les élèves bretons Trégorois. La Bretagne est encore en guerre, de religion cette fois, entre les ligueurs catholiques royalistes et les communautés protestantes. Une seconde fois, la ville est détruite par les troupes du duc de Guise en 1589. Il faudra trois ans pour la reconstruire. La victoire catholique est marquée par la création d'un nouveau dictionnaire trilingue breton, français, latin du nom de « catholicon ». En compensation des peines endurées pour sa cause, le roi Henry 4 maintient à Tréguier les Etats de Bretagne.  

Le XVIe siècle voit se développer une période intellectuelle, artistique, et économique pourtant limitée par l'activité restreinte et locale de son port. Sur le plan religieux, les couvents se multiplient: couvent de St François, des ursulines, des augustines, des sœurs de la croix, des Paulines, et pour la gente masculine, le collège pour les garçons dès le 16ème siècle, et un séminaire Lazariste. On peut comprendre alors la réaction d'Ernest Renan qui qualifie Tréguier de: " nid de prêtres et de moines, ville très ecclésiastique, étrangère au commerce et à l’industrie, un vaste monastère où nul bruit du dehors ne pénètre »... à part peut-être celui de l'eau potable des sources de Creven en Plouguiel. Il est vrai que toute histoire religieuse commence souvent par une source, et celle-ci semble entretenir la foi...

 

Au XIXe siècle, la révolution industrielle se traduit par la construction d'une passerelle (saint -François) qui permet le passage des piétons et des chevaux, et du premier pont de la ville (appelé pont du Canada.. allez savoir pourquoi??) qui relie la ville voisine de Trédarzec. Le port se développe et fournit finalement un trafic de 350 navires par an, et sera même doté d'un port secondaire destiné à la pêche à la morue. Hélas, les épidémies de choléra réduiront le nombre de pêcheurs...

Au XXe siècle, de nouveaux affrontements refont surface, toujours religieux, du moins en partie, entre les républicains (bleus) et les religieux (rouges). Ce phénomène, répandu dans toute la Bretagne, va sérieusement freiner pendant un demi-siècle la vie culturelle et l'usage de la langue bretonne; les nationalistes exigeant la destruction de toute particularité régionale pour créer une "France homogène..." 

Un autre événement plus local a lieu sur la place de l'église lorsque de " bonnes âmes à l'esprit chahuteur" ont jugé approprié de dresser à cet endroit la statue d'Ernest Renan... cet homme que l'on qualifiait d'anticlérical et même antipatriotique, voilà de quoi nourrir un joli scandale ! En effet, sa biographie du Christ, relatée comme s'il s'agissait d'un homme " normal" est perçue comme une provocation. La statue fut tout de même érigée, mais un an plus tard, on construisait au même endroit un calvaire " de protestation"... 

Sur le plan économique, l'activité portuaire continue d'évoluer malgré un déclin notable de la population et l'apparition du chemin de fer qui amène les premiers touristes. Un commerce d'import-export de fruits, céréales, bois, ou vin s'établit avec la France, mais qui se révélera insuffisant. Le port de pêche et de commerce devient finalement un port de plaisance. 

La deuxième moitié du XXe siècle connaît l'apogée de la réforme intellectuelle et de la vie culturelle " à la française" à travers des activités théâtrales et des festivals de musique. Des associations proposent également des actions dans ce sens. 

Les années 2000 : 

En plus de la bibliothèque et du théâtre, la vie associative trouve sa vocation dans l'art et la culture : 

*Art, Culture Et Patrimoine

*Association Bretagne Pays De Galles - Breiz Kembre

* Association Maison d'Art du Trégor

* Contes et Légendes de Tréguier

dans la musique :

* DSkol Sonerien Bro Landreger entre autres bagadoù

en faveur des anciens :

* clubs des anciens et maisons de retraite

en hommage à la marine : 

* officiers mariniers

* les voiles de l'espérance

et bien sur quelques associations religieuses.

Le musée et les salles de l'hôtel de ville propose des exposions temporaires ou permanentes. 

*Art indigo

*L'art à Tréguier

Que voir à Tréguier : 

* Le centre historique : les ruelles pavées et ses maisons à pan de bois dont celles de personnes célèbres : Ernest Renan, Madame Taupin, le duc Jean V, l'écrivain Henri Pollès 

* La cathédrale saint-Trugdual : superbes vitraux;  le cloître, le tombeau de St-Yves etc. 

* La brasserie Philomenn : une brasserie différente par son style et son histoire

* Un marché local se tient chaque mercredi et des commerces variés se fondent dans le paysage dont un super-U avec drive, et bon nombres de boutiques de linge et de vêtements.

* le calvaire de protestation et la statue d'Ernest Renan 

Dans les environs : 

* Le rendez-vous : à La Roche Derrien, à 5 kms au sud de Tréguier. Voilà un titre qui en dit long sur son accueil et sa bonne cuisine française. Viande, poissons, fruits de mer. 

Dans les environs de Tréguier : 

* La roche-Derrien : village médiéval

* l'Abbaye de Beauport et ses jardins

* Pontrieux et son adorable petit port 

Pour information, Tréguier n'est qu'à 15 à 20 kms de Paimpol, Lannion, et Perros-Guirec pour finir en beauté votre séjour. 

Où dormir à Tréguier :

*Aux Perderies :  petit hôtel sympa au centre ville avec jardin, produits locaux maison au petit déjeuner

* Bed and breakfast Colvestre : au centre ville très bon accueil et convivialité. Super petit déjeuner avec produits locaux

* Maison unique : est une location de vacance avec cuisine et jardin au coeur de la ville où les animaux sont admis 

* Bed and breakfast du cloître : Au centre ville, dans la chaleur du bois: superbe établissement décoré à l'ancienne. Petit-déjeuner copieux, sauna et massage sur demande. 

Où manger à Tréguier : 

* Auberge du Trégor : cuisine traditionelle dans une belle maison de granit et pierres de taille 

* Ty Braise : au centre ville dans une maison de granit, décorée à l'ancienne, cuisine française et grillades 

* Le 5 : si le bâtiment est sobre, tout l'art est dans la présentation des plats. Cuisine française, viande, poissons.  " les assiettes apportent leur touche joyeuse à des prix particulièrement abordables" (appréciation Gault et Millau) 

Et de très nombreuses et délicieuses crêperies

Quelques personnalités nées à Tréguier : 

* Saint-Trugdual : arrivé du Pays de Galles, il débarque en Armorique afin d'évangéliser le peuple. Evêque de Tréguier au VIe siècle, il fonde son monastère. Canonisé, il devient le saint-protecteur de la ville. 

* Saint yves : saint patron des pauvres, des avocats et des gens de loi. Un important colloque juridique a lieu chaque année à Tréguier à l’occasion du Pardon. Son magnétisme reconnu attire au cimetière une foule considérable de pèlerins et de gens de lois venus de toutes les paroisses alentour avec leurs plus belles bannières pour assister au pardons sous les guirlandes de fleurs et de feuilles et autres décorations jaunes et noires (couleurs du costume local) 

" Des mendiants invraisemblables, un peuple de bohémiens en guenilles, grouille le long des chemins semés de fleurs : lépreux, nains, estropiés, amputés qui n’ont même plus une main à tendre et à qui l’on jette l’aumône dans une sébile posée à terre devant eux». (Constant de Tours- 1892) " 

* Ernest Renan : se destinait à être prêtre. Administrateur et académicien au Collège de France, il devient aussi républicain. Ses ouvrages : "Histoire des origines du christianisme"  "Qu'est-ce qu'une nation? " histoire du peuple d'Israël" influencent grandement le peuple au niveau international mais génèrent aussi le scandale: dans l'esprit du peuple, cet homme a retourné sa veste!) Considéré néanmoins comme le maître à penser de toute une génération, il a droit à sa statue commémorative...sur la place de l'église! ce qui provoque évidemment des émeutes. Plus tard, en signe de protestation, est érigé un calvaire près de la statue.  

*Anatole le-braz : l'un des plus éminents écrivains de Bretagne, selon les trégorois : "fils des monts adopté par la mer"  "pèlerin cherchant l'âme profonde de son vieux pays". Son œuvre reflétant son attachement au valeurs bretonnes est riche et variée (contes, chants, recueils de poèmes, romans etc.) :  "Le Cloarec breton" Au pays des pardons" "Vieilles histoires du pays breton" "La Terre du passé", pour n'en citer que quelques-uns. 

* Joseph SAVINA:  ébéniste, sculpteur, et brodeur sur bois « Meilleur ouvrier de France »en 1927, crée un atelier d’Art Celtique. Il fait partie du groupe " Seiz Breur" (rénovateurs des arts décoratifs bretons) et réalise des meubles bretons sublimes. Ami du peintre, architecte, décorateur Charles Edouard Le Corbusier, ils réalisent et exposent ensemble des oeuvres d'art qui portent leurs deux signatures  JS/LC. Il publie un ouvrage : "Tréguier et son alentour" en 1948. Il aura l'honneur et l'avantage d'entretenir le manoir de l'aviateur Charles Lindberg...excusez du peu!  à proximité de Tréguier. 

* Henri Pollès : écrivain populaire, philosophe et homme politique, il réalise une quinzaine d'ouvrages : "Sophie de Tréguier" "Sur le Fleuve de sang vient parfois un beau navire" Son style idéaliste est influencé par la culture celtique.   

* Jérome Guézénec : sportif champion de ping-pong handisport 

* Yvon le Corre : peintre et navigateur ayant vécu à Tréguier. Auteur de plusieurs ouvrages.