Phares Bretons : pour la vie

Il fut un temps où les marins naviguaient uniquement le jour, longeant la côte pour ne pas la perdre de vue. Ils dormaient sur la plage et repartaient au petit jour. En ce temps-là, aucun signal lumineux n'existait. Le développement du commerce maritime provoqua non seulement une recrudescence de la navigation, mais aussi une prise de conscience. Afin de limiter les trop nombreux naufrages, il fallait anticiper. En 300 ans avant J.C, sur l'île de Pharos en Égypte, est érigée une tour de marbre blanc de 135m de hauteur : le premier phare au monde, celui d'Alexandrie dominait l'océan. 

Au XVIIIe siècle, les phares sont équipés de grands paniers grillagés en métal contenant du bois ou du charbon. Attisées par le vent, les flammes apportent un éclairage sommaire. 300 Kg de combustibles sont ainsi montés chaque nuit sur le dos du gardien qui doit en plus remuer les braises et empêcher que le vent ou la pluie n'éteigne le feu. Pas facile! il devient urgent de trouver d'autres options : On crée alors de grandes lanternes vitrées sous une coupole de métal pour protéger le feu. Plus tard, le charbon fut remplacé par des lampes à huile ou à pétrole. Il faudra attendre le XXe siècle pour que les ampoules que nous connaissons fassent leur apparition. 

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Un phare a trois fonctions : 

* désigner les dangers qui peuvent surgir sous la mer, avant que le bateau ne s'engage dans un chenal, une passe. 

* signaler une terre à un navire

* indiquer la route à suivre

Pour cette raison, il peut être construit sur une roche immergée, une pointe rocheuse, ou une colline orientée sur une route maritime. Il faut aussi avoir au préalable mesuré la profondeur de l'eau et repéré la présence d'éventuelles roches sous-marines afin de pouvoir créer une carte nautique.

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On distingue:

* Les phares de la côte : Souvent construits sur une colline, près d'un port, ou à l'embouchure d'une rivière ou d'un fleuve que leur lumière rouge et blanche signale. Avant l'automatisation, ils comprenaient le logement du gardien et de sa famille ainsi que des édifices techniques abritant le matériel de secours. 

* Les phares de mer : Placés de préférence sur un écueil dangereux surgissant des profondeurs, ils abritaient les gardiens, généralement 2 voir 3. Survivant tant bien que mal à la peur, au froid, et la solitude, ceux-ci se relayaient pour surveiller le niveau d'huile et nettoyer les vitres de la lanterne noircies par les flammes. Les chambres des gardiens, le magasin de combustible, une cuisine sommaire avec ses réserves de nourriture, et une salle de veille constituaient l'essentiel de l'aménagement de la tour, au bout d'un long escalier en colimaçon de 200 à 400 marches. C'est depuis la salle de veille que se déroule un " film en 3D grandeur plus que nature?! Là où l'on scrute l'océan, et pas question de s'endormir avant l'heure?!!!

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Les phares des îles :   

Avant de toucher terre, le bateau aperçoit d'abord les îles. Celles-ci devant donc être repérées de très loin, la lumière du phare doit être puissante. Pendant des décennies, le phare du Creac'h est parmi les plus puissants au monde avec une portée de 80 kms. C'est pourquoi on pensait quelquefois que le soleil se levait avant l'heure... Construits sur une falaise, un îlot, ou au raz de l'eau, les phares des îles étaient une affaire de famille, où même les animaux avaient leur place, quand ils ne subvenaient pas aux besoins de nourriture. Ainsi, il n'était pas rare que l'on y entretienne un potager, que des poules viennent y picorer, ou qu'une vache laiteuse broute les brins d'herbe qu'offrait la lande. 

Ode aux constructeurs de génie qui ont osé affronter les éléments et la hauteur pour construire ces tours salvatrices, véritable cadeau de la vie?! Au XIXe siècle, ingénieurs, maçons et tailleurs de pierres rivalisent d'adresse et de courage pour construire des pyramides des mers carrées, coniques, octogonales, ou polygonales en fonction des besoins et de l'endroit. Chaque pierre s'emboîtant l'une dans l'autre est une victoire contre la peur ou le vertige, quand ce n'est pas les deux. Bien trop de vies humaines ont rejoint les poissons... La solidité de la tour garantit la survie contre la puissance insoupçonnée des éléments. " Un puzzle en trois dimensions" qui, la mer en est témoin, prenait des années à construire?! Ainsi l'Ar-men (île de Sein) a vu le jour au bout de 14 ans?! " dit Francis Dreyer dans son livre " Les phares racontés aux enfants". Une tempête Finistèroise pouvait faire s'écrouler un édifice comme un château de cartes... Et combien de marches ont-ils montées pour allumer les lampes, faire glisser une corde pour monter le matériel ou les vivres, ou pour faire une simple réparation?? Un sondage parle de 2 millions de marches de 20 cms, soit l'équivalent de 400 kms à grimper en 40 ans de carrière... Sacré pèlerinage, n'est-ce pas?? Un exploit humain de l'homme pour l'homme! Un escalier en colimaçon interminable...jusqu'au sommet où, à partir de cet instant tout peut arriver... livrés aux caprices souvent tumultueux de l'océan. Afin que l'escalier ne soit pas glissant, le constructeur a prévu des plaques d'opaline sur les murs. Après la seconde guerre mondiale, apparait le premier ascenseur pour accéder à la tour de veille.

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Dans l'esprit des gardiens, les phares sont de trois catégories : 

* Les phares de l'enfer sont les phares de mer situés dans des endroits où la tempête a fait le plus de victimes. 

* Les phares du purgatoire signalent la présence de rochers mais autour duquel on preut circuler sans trop craindre de gros dégâts... En restant toutefois sur ses gardes.

* Et enfin les phares du paradis, ... Ou presque, étaient reservés aux anciens gardiens qui avaient survécu à 30 ou 40 ans d'enfer ou de purgatoire. Du soleil, un potager, une basse-cour et même une école toute proche pour les enfants... La retraite anticipée en quelque sorte...  

Imaginez un instant : vous vivez au dixième étage d'un immeuble et soudain l'écume rageuse de vagues de 40 m de haut vient percuter et fait trembler les vitres...si encore elle ne les brise pas ! Ce n'est pas un tremblement de terre, mais un tremblement de mer?! Le monstre de l'océan a encore frappé et vous voilà prisonnier dans la " tour infernale" pour une période indéterminée... Comme ce gardien courageux de l'Ar-men qui fut bloqué pendant trois mois.. la fureur du climat empêchant l'approche des bateaux de secours et de ravitaillement. Avez-vous prévus suffisamment de vivre dés le départ ? ; la prévoyance avant tout !!!? Votre rôle de surveillance est capital ! la lampe ne doit jamais s'éteindre, tout danger potentiel doit être repéré, anticipé, et évité?! La moindre erreur peut être fatale et causer la mort. La bonne nouvelle, c'est que vous n'êtes pas seul...à condition toutefois que votre relève parvienne à vous rejoindre dans cette brume digne d'un film d'Alphred Itchcock... C'est pourquoi par la suite, des sirenes ont été créées pour tenté de percer de leur son perçant, le brouillard, à intervalles réguliers... mais immaginez le cauchemard que vous allez vivre à ne pas fermer l'oeil de la nuit avec un tel vacarme. Les radars et GPS sont heureusement beaucoup plus efficaces aujourd'hui. 

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Jusqu'au XVIIIe siècle, les lanternes, construites en pierre, laissent passer un bien faible faisceau de lumière. Elles trouvent leur forme actuelle en 1770, octogonale avec une couronne de métal et un dôme de cuivre, cernés par la passerelle du phare et un paratonnerre.  Peut-être une prière à st Nicolas aidera t'elle permettra t'elle que le vent et les vagues ne brisent pas les vitres de la lanterne... cela arrivait hélas trop souvent... C'était alors quelquefois le parcours du combattant pour revenir les changer et les nettoyer encore et encore, à plus de 50 mètres du niveau de la mer. Il fallait aussi quelquefois réparer la girouette en s'offrant une escalade sur le dôme cuivré, et au passage vérifier que le feu n'était pas éteint, que les gouttières n'étaient pas bouchées. " L'eau de pluie était récupérée et ressortait par la gueule de petites sculptures en forme de tête de lion, comme les gargouilles d'une cathédrale. Ainsi récupérée dans une citerne, elle servait d'eau potable aux gardiens" précise Francis Dreyer. 

En 1825, un ingénieux physicien nommé Augustin Fresnel trouve une solution miracle : la fameuse lentille à qui il donnera son nom, aussi appelée lentille à échelon, qui permet de concentrer les rayons lumineux dans une seule direction. Comment a t'il réussi ce prodige? tout simplement en coupant la lentille en morceaux... mais non, pas pour la casser... Encore que?! Le but du jeu était de ne garder que les parties bombées et de les recoller ensemble tel un vitrail, pour obtenir une forme à échelons (en quinconce) afin de multiplier  la puissance du champs lumineux dans la direction souhaitée, là où le danger est réel. Vous me direz : " mais le danger est partout ! " Et oui, c'est pourquoi notre génie ne s'est pas contenté d'une seule lentille, mais a multiplié  le faisceau de lumière par autant de lentilles entourant l'axe principal, pour obtenir un résultat optimal. La lentille de Fresnel ne mesure pas moins de 2 à 3 m de haut. L'œil de Poséidon est en alerte?! 

Les phares ne s'expriment pas tous de la même façon, sinon il serait facile de les confondre la nuit. Le faisceau lumineux de l'un est fixe tandis qu'un autre subit une rotation provoquée par un anneau posé sur une cuve de mercure?; un petit moteur en assure la régularité. Tout est donc prévu pour éviter une anomalie et préserver les marins du naufrage toujours possible. Un gardien de phare pouvait rester sur place pendant un mois, sauf cas extrême auquel cas la période se prolongeait. Son service terminé, il se reposait pendant dix jours... Si la relève était présente.

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un ancien gardien raconte :

" Lorsque la vedette s'approchait, on lançait une corde depuis la passerelle du phare que le nouveau gardien attrapait et sur laquelle il s'installait. Il remontait alors "en mode tyrolienne", alors que, sur le bateau, les matelots tiraient sur la corde. Ballotté dans tous les sens par les vagues, le pauvre gardien devait croire à sa bonne étoile... Les accidents arrivaient fréquemment. Il y a mieux qu'une douche glacée pour commencer son service ! Une fois arrivé sur la passerelle, l'autre gardien redescendait en sens inverse. " 

Si le travail d'un gardien de phare n'était pas compliqué, il était par contre méticuleux : de l'entretien des lampes, de la propreté de chaque parcelle de vitrage, de la propreté du lieu, dépendait la vie des marins, une glissade sur de l'eau boueuse dans l'escalier pouvant être fatale. De la solidité du matériel dépendait la vie des gardiens : une porte solide pouvait empêcher  l'eau de s'engouffrer à l'interieur du phare et préservait les murs de l'humidité. Déjà qu'il n'y avait pas de chauffage...ou presque! De une fenêtre laissée ouverte par mégarde, immaginez le désastre!

L'horloge devait aussi être démontée régulièrement car elle faisait tourner la lentille. Et manquer de charbon, d'huile ou de pétrole aurait été un drame... Les cuivres devaient être attentivement briqués, mais la tâche principale était encore et toujours de surveiller l'océan. Nos gardiens n'avaient donc pas le temps de s'ennuyer, particulièrement en hiver . Leurs seuls loisirs, s'ils travaillaient en mer, consistaient à discuter autour d'un café, cuisiner, lire, dessiner, pêcher ou jouer aux cartes tout en écoutant les "nouvelles d'en bas" du radio emeteur. Certains fabriquaient des objects : petits phares en bois ou bateaux dans une bouteille, exemple qui fut vite imité. On raconte qu'une galerie de peinture aurait même été créée à l'intérieur d'un phare. Ils arrivait aussi que les gardiens reccueillent des marins échoués, les nourrissaient et prévenaient les gardes-côtes. Voilà qui était rassurant pour les marins qui se sentaient moins seuls en mer. 

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Début XIXe siècle, les gardiens quittent peu à peu leur phare pour se consacrer à l'entretien des signaux lumieux (ou non) de guidage: balises, fanaux, bouées, tourelles. Le bateau du collègue remplaçant a laissé place à l'hélicoptère. L'entretien des phares est devenue la tâche des agents techniques (souvent anciens gardiens de phare), immédiatement prévenus par un système radiotéléphonique à la moindre panne ou cassure. 

https://www.ouest-france.fr/bretagne/frehel-22240/le-dernier-gardien-de-phare-regagne-la-terre-ferme-6505762

En 1977, sont créés les signaux de couleur (une simple plaque de couleur reflètant la lumière) que le marin peut observer à son arrivée. Rouge ou vert pour une zone dangereuse, blanc si elle ne présente aucun risque. Encore que les pays ne s'accordent pas tous sur les même couleurs...). Ainsi, en arrivant au port, le bateau pouvait passer au milieu pour sa sécurité et celle de son équipage. 

L'an 2000 arrive avec le DGPS (differential Global Positioning System), mini ordinateur posé sur le bateau, relié à un réseau de satéllites, permettant un repérage quel que soit le climat. Qu'en est-il alors de nos héros? Et bien si il est vrai qu'il n'existe plus en Bretagne de phare abité, le seul en France étant Kerouan en Gironde, les phares seront toujours présents, non seulement en dépannage, mais aussi et surtout pour le souvenir, pour le respect d'une oeuvre collective si bienveillante à travers laquelle tant de vies humaines ont été sauvées. On dit aussi qu'un bon gardien ne quitte jamais son phare. Même parvenu à la retraite, il reviendra fréquemment se promener dans le coin... histoire de vérifier que tout va bien. 

 

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Autres signaux lumineux très utiles : 

* la bouée cardinale : peinte en noir et jaune, placée au nord, sud, est, ou ouest, sert à délimité une zone dangereuse.  Exemple: " Si elle est au nord, le bateau passe au nord" 

* le fanal : lanterne placée en un endroit élevé servant à se repérer la nuit 

* la tourelle de mer : seule ou au nombre de deux à l'entrée d'un port, procure un alignement lumineux qui permet aux bateaux de passer sans problème.                                                                                           

* la bouée ( lumineuse ou pas)  : sert au  balisage pour les casiers, les filets, indique la zone de mouillage, signale les canaux. 

* l'amer : point de repère fixe permettant de repérer la côte. (rouge sur la photo) 

* la balise : délimite les chenaux d'accès au port et indique les dangers en mer. Elle peut être équipée d'émetteurs sonores pour permettre leur localisation par temps de brume. Une tourelle, une bouée, un amer sont des balises . 

Sur l'île d'Ouessant, depuis 1988, situé dans la salle des machines du Créac'h (Ouessant), le musée des phares et balises retrace leur histoire à travers les grandes époques de la navigation. Lentilles, lampes à arc électrique, optiques géantes et bien d'autres choses attendent le visiteur. 

70 phares Bretons classés monuments historiques: 

https://www.bretagne.com/fr/que-faire/visites-et-patrimoine/phares

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