Maitres du temps: Les toiles de mer
Quand les navigateurs se rencontrent, qu'est ce qu'ils se raccontent?
Tout récemment, trois compagnons de mer breton et bien connus au pays posent pour Géraldine Danon, épouse du navigateur Philippe Poupon. Quelques semaines plus tard, le couple largue les amarres pour l'Antarctique. Afin de commencer l'année en beauté, découvrez vite de qui il s'agit en parcourant ce bel article :
"Les pôles de ce monde sont incroyablement sensibles à tout changement de la nature. Tout arrive d'abord en Antarctique/Arctique, c'est comme des fenêtres ouvertes sur le futur".
Pour ne jamais oublier :
Quand dame nature se révêle à nos navigateurs, où quand la mer devient linceul, l'instant mérite d'être immortalisé. Comme beaucoup d'autres, Yvon Le Corre a bien perçu le message. Natif de Saint-Brieuc, cet Armoricain au grand coeur a vite trouvé le moyen de réunir ses deux passions: la mer et le dessin. Professeur d'arts plastiques, sa rencontre avec Titouan Lamazou est déterminante: Yvon transmet à Titouan sa fougue pour la vie au large, son expérience de la navigation à la voile, et du dessin de voyage. En grand nostalgique de la belle époque, il voyage sur des bateaux en bois et se fait volontiers partenaire dès qu'il s'agit de défendre la cause de nos chers vieux gréements. D'ailleurs, son bon vieux Ligner anglais, qu'il entretenait lui-même, a quand-même atteint l'âge très avancé de ... 150 ans ! Son ouvrage "L'ivre de mer" imprimé par ses soins sur une presse du même âge...que son bateau, reçoit le prix " Mémoires de la mer", ce qui relève presque de l'exploit, quand on sait qu'il a, en toute modestie, refusé le titre de " Peintre de la Marine" ainsi que la décoration de " chevaliers des Arts et des Lettres".
« Préserver la beauté de cette vie sous les étoiles, les bourrasques ou les lentes dérives sans vent sont autant d'extases et de fortunes de mer. L'important, c'est qu'il y ait l'ivresse ! » (Yvon Le-Corre)
Tel un phare à jamais allumé, il inspire nombre de vocations aux futurs marins qui hésitent encore à s'engager dans un voyage au long cours: peindre sur un bateau, c'est partager l'intimité des grands espaces marins tout en gardant le contact avec le monde terrestre. Écrire sur un bateau, c'est ne jamais oublier l'intensité d'une rencontre. À travers des scènes de vie, transparaissent sa conviction pour un monde en paix et son combat contre l'injustice. Ainsi, a-t-il le sentiment d'être lui-même et d'avoir retrouvé la sérénité. "Les outils de la passion" est un condensé de rêves vécus et un hymne à la liberté.
L'homme libre, n'est-il pas celui qui, à l'ère des ordinateurs et des claviers, sait prendre le temps de voir la lumière, la transparence, d'écouter le murmure de l'eau à peine perceptible, et de sonder la profondeur du temps ? Yvon Le Corre a le sens de l'essentiel et de la pureté.
Yvon, Eric, et Titouan sont dans un bateau :
Les bons conseils d'Yvon Le Corre font écho à ceux d'un autre grand navigateur made in Breizh : Eric Tabarly qui lui aussi, apprend à Titouan Lamazou la vie au large. Titouan comprend alors que sur un bateau "Tout est un art, même la technique."A l'occasion des 20 ans de la disparition en mer de son maître bien-aimé, Titouan rend hommage à Éric Tabarly dans un magnifique tableau. Il entreprend également de remettre à jour et d'illustrer un bon vieux Guide de manœuvre destiné aux marins, qui lui a été dédicacé par Éric Tabarly lui-même. Suivant l'exemple d'Yvon Le Corre, Il cherche lui aussi a réunir ses deux passions : la mer et la peinture. Nombre de ses toiles illustrent, de façon périodique, ses voyages, au musée du quai Branly, à Paris.
Né à Casablanca, au Maroc, Titouan est néanmoins un digne " fils" de la Bretagne : sous les encouragements d'Éric Tabarly, il gagne son premier Vendée Globe en 1990 et est promu champion du monde de course au large en 1991. L'année 2003 récompense sa peinture sous le titre "Artiste de l'Unesco pour la paix". Outre la navigation, ses oeuvres mettent en valeur la beauté de la femme....tahitienne entr'autres....Celà nous rappelle quelqu'un... Ils en rêvent tous, nos marins! Il participe d'ailleurs à des actions caritatives pour la défense du droits des femmes et des enfants dans le monde.
Les toiles de mer, une aide précieuse :
Témoignage :
"Cette Bretagne, vue de la mer, nous les marins, sommes les seuls à la voir ; et je voudrais que les personnes restées à terre puissent partager le regard que le monde maritime porte sur cette côte, une des plus belles au monde" (Olivier de Kersauson)... C'est tellement vrai!
Les cartes marines ou même les photos d'aujourd'hui ne pouvant pas tout reproduire du paysage ambiant, les dessins, schémas, croquis, gravures, et enfin les tableaux de peintres en sont l'indispensable représentation et permettent bien souvent au marin de mieux se repérer et de prévoir les écueils éventuels, souvent cachés dans les profondeurs. Déjà au XVIIIe siècle, Nicolas Ozanne, artiste peintre, adjoint du maître en dessins des gardes de la marine, s'entoure de ses frères et soeurs, qui, comme lui, maitrisent l'art de la gravure. Recommandés auprès du ministre de la Marine, la fratrie embarque sur les frégates de la Royale, accompagnant le roi Louis XV dans ses déplacements.
Outre des talents de dessinateur, être reconnu peintre de la marine demande une bonne sensibilité et réceptivité à l'environnement, être fidèle et précis dans son art, et aussi savoir s'adapter à la situation présente (conditions météo, lumière sans cesse changeante, arrêt ou pas du bateau etc.). Et il faut avant tout être un marin d'expérience. Ce n'est qu'à ce prix que l'artiste sera en mesure de faire partager l'émotion ressentie par le navigateur. Les outils sont simples : crayons, mines de plomb, pastels, feutres ou même peinture, un carnet à dessin, et bien-sûr quelques notes ajoutées.
La fonction des toiles de mer : Tracer la route des futurs marins :
* Rappeler ou enseigner :
° un contexte historique (Saint-Malo, Concarneau, Brest etc...)
° la foi en une pêche authentique: (Douarnenez, Loctudy, Belle-île, Houat...)
° Pour débuter avec le yachting : le golfe du Morbihan...
* réveiller :
° le charme d'une époque (Dinard, Paimpol, Pont-Aven...)
° L'épopée de la sardine /où/et du thon : Port-Maria (Quiberon, Douarnenez, Belle-île, Paimpol)
° le souvenir des marins disparus en mer matérialisés dans les églises pardes ex-votos : (Camaret, Esquibien, Erquy),
° une nature sauvage : (Ile de Groix, Porspoder, Pointe du Raz)
* Signaler :
° une présence animale (le Cap Frehel, la Pointe du raz, Golfe du Morbihan...)
° des îles : (Ouessant, Groix, Brehat...)
° la présence d'une rivière ou d'un canal : (Tréguier, Saint-Nazaire, Lannion...)
° la présence de rochers ou de falaises : (Ploumanac'h et toute la Côte de granit rose, Belle-île en mer, Crozon...)
° la présence de parcs à huîtres : (Cancale, Aber-Benoît, Concarneau)
° la présence d'un archipel : Molène, Les Sept-îles, Les Glénans
° une zone dangereuse: (Raz de Sein, Ouessant, Penmarc'hl)
° des villes/villages de charme ou de caractère: (Bénodet, Larmor-plage, Pont-Aven)
° des ports de charme...qui laissent un goût de reviens-y! : Doëlan, Le Gavres, île de Sein
° la présence des amers: bouées, signaux, phare : (Ile Vierge à l'Aber-Wrach, Ile de Sein (Ar Men), Presqu'île de Penerf (tour des Anglais), phare d'Eckmühl)
* Déterminer la ou les fonctions d'un port : de plaisance, de pêche, de commerce, militaire, de records, d'escales ou de réparation navale (Le Conquet, Roscoff, Le Croisic...)
* Inviter à :
° découvrir les forts et châteaux de la région (Morlaix, Fort Du-Gesclin (au nord de Dinan), château de Trémazan (Porspoder) ... ), l'exotisme en Bretagne : ( Les Glénans, Belle-île, Crozon)
° observer les contrastes entre marée haute et marée basse : l'île de Batz, Douarnenez,
Les gens de mer : Pour reproduire, il faut d'abord naviguer :
Est-ce inné ou acquis? Les gens de mer, motivés par la curiosité, la crainte, la séduction, le goût du risque, sont vite "capturés" par des émotions. C'est tout cela qui crée, selon Allain Bougrain-Dubourg, "une dépendance irréversible". Telle une prison dorée composée de la mer, des vagues et des embruns, des dunes et des oiseaux, l'arrivée au port n'est bien souvent qu'une escale, tant est forte l'envie de repartir sur les flots, de s'enivrer encore et encore de senteurs fortes et vivifiantes, de sentir sur son visage l'appel du vent, de renouer une complicité avec la grande dame aux longs cheveux d'azur et d'argent. Tout étourdis par ses lumières tantôt éblouissantes ou mystérieuses, ses reliefs blessés par les courants contraires, qu'adoucit souvent une palette de cinq couleurs irisées et nuancées, le navigateur "apprend l'humilité" comme dit Olivier de Kersauson. Pour le marin, la mer est comme un vieux grenier qui défie le temps, c'est le refuge de mère nature...du moins ca l'a longtemps été, avant que l'industrie n'en saisissent les rênes, avant le temps du profit, de l'exploitation, de l'avidité humaine.
Naviguer c'est aussi prendre le temps :
* D'observer:
° Les couleurs (varech, sable, eau bleue, l'écume, la végétation )
° la pluie qui brouille le paysage
° l'écume dentelière des vagues
° L'envol des oiseaux
° le passage des bateaux qui recréent les reliefs sur l'eau et troublent sa tranquillité
° Des surprises : barques entre les branches d'un arbre
° la réflexion des bateaux et du coucher de soleil dans l'eau
° effets trompe-l'oeil
* De se souvenir :
° trouver du bois flotté d'épaves englouties qui appellent à un nouvel avenir
° ramasser des coquillages fossilisés d'un autre temps
° renouer avec des légendes toujours bien vivantes dans l'esprit humain: l'herbe d'or, les îles aux trésors, et quantité de légendes bretonnes et histoires de marins, quelquefois revues et corrigées par les grand-parents dans les veillées de l'après guerre.
* De ressentir :
° le mouvement : le vent dans les dunes, les fleurs aquatiques qui oscillent au vent, les ondulations de l'eau, les variations climatologiques...
° avoir des sensations : le soleil sur sa peau, la caresse de l'eau, le sable fin et chaud sous les pieds... ou l'enlisement dans les vasières
* De sentir : l'odeur des algues, des crustacés, le sel...
* De s'étonner / comprendre/ apprendre:
° les fonds sous marin, la mer, les marées, la brume
° adhérer à la protection de l'environnement et des hommes: zones préservées, zones sinistrées, flore, faune, les amers, présence humaine ou animales, trouver un bateau abandonnée et revivre son vécu
Retour à la réalité : profiter du luxe des parcs à huître, rencontrer des pêcheurs, découvrir la faune sous marine, participer à des régates, se promener dans un port de plaisance.
" L'île est rose, avec des centaines de petites criques. A marée basse, Bréhat, c'est un océan de roches avec un peu d'eau. Chaque caillou, chaque baie, chaque crique y a un nom. Le regard ne se lasse jamais. Je crois qu'on peut faire indéfiniment le tour de l'île aux rochers roses et la découvrir à chaque fois". (Olivier de Kersauson, La Bretagne vue de la mer)
" La nuit, du fond de ta pirogue, observe et trace ton chemin d'étoiles, suis les une à une, (c'est ton fil d'Ariane), et tu retrouveras ton île" ainsi faisaient les premiers navigateurs polynésiens.
* Cet article consacré aux toiles de mer a aussi pour objectif de se souvenir de tous ceux que la mer a décidé d'emporter mais qui sont toujours bien présents dans les coeurs de leurs amis et familles. C'est aussi un moyen sympathique de réunir ici six navigateurs, chéris de la mer et de tous les passionnés, qui tous, vivants ou décédés, se sont bien connus, amis pour l'éternité : Yvon-le Corre, Titouan Lamazou, Olivier de Kersauson, Eric Tabarly, Philippe Poupon et son épouse Géraldine Danon.
L'image qui suit est un petit montage à ma façon, ma toile de mer à moi, pour vous.
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