Extraits choisis : partie 1
Extraits de " Mon vieux grenier en Bretagne" de Louis Pouliquen
Les chemins creux:
" Les moissons terminées, l'automne descendait vers les chemins creux qui gardent le souvenir des charrois, accrochant à leurs branches quelques pailles toutes tristes d'avoir été oubliées pour rejoindre l'aire de battage. Flottaient sous les feuilles fatiguées des chaleurs d'été, des senteurs de blé, d'avoine et d'orge, parfums de tristesse qui allaient pourtant se parer des luxuriances de l'incendie (du ciel)... C'était le temps des mûres et du gwinig du pour les enfant, ce breuvage divin à l'hydromel des druides. Dans un torchon de toile blanche, les filles déposaient leur cueillette et pressaient délicatement au dessus de l'entonnoir. La bouteille pleine miroitaient dans les rayons du soleil et nous nous délections de ce pur jus aux reflets de ciel" ...
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Le ciel de chez nous:
" Le ciel de chez nous: si je savais peindre, je choisirais les couleurs aux mille lumières. Depuis que j'ai su marché, j'ai eu le nez tourné vers elles. Alors qu'il n'était pas encore question de météorologie, la consultation céleste révélaient ses signes, qui pour nous étaient d'une évidence criante: lire le temps avec une précision et une justesse à faire rougir de honte nos prophètes d'aujourd'hui. Les hirondelles, très haut dans l'azur, confirmaient la poursuite du beau temps, mais à rase-motte, en vrilles fulgurantes, annonçaient l'orage pour le lendemain. Une seule mouette ballottée au dessus des terres, poussant des cris de détresse, prévoyait une semaine de pluie, jusqu'à ce que, apaisée, sûre d'elle, on la verrait reprendre en ligne droite sa route vers la mer. Les étourneaux du printemps et de l'automne prenaient ensemble la forme d'un nuage qu'une force mystérieuse agitait pour le faire devenir fuseau, serpent ou cerf-volant. J'étais fasciné par le ballet des oiseaux qui pendant cinq jours, étaient fidèles au rendez-vous. Perchées sur une patte, elles fixaient le paysage de leur prunelle blanche avant de reprendre leur vol en craquetant. Quel était ce message envoyé du ciel? Foi d'un Tad (père), un hivers terrible et à l'horizon tout proche, la Grande guerre. "
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1000 couleurs :
" Les hommes accordaient la plus grande importance aux voies portées par le vent. Le vent qui passait à l'ouest précédait la pluie, mais mon père savait aussi lire l'embellie dans les ors et les rouges multiples d'un coucher de soleil somptueux: infimes nuances pour des yeux aveugles du changement. Allongés sur le dos, ( écoutant les vagues de Kermorvan battre le roché) commençait le cérémonial. Le ciel au dessus de nous était à portée de mains, mais aussi insaisissable, à mille lieues aux confins de l'horizon. En silence, une force nous aspirait et nous arrachait à notre lit d'herbes. Nous flottions dans les airs et sous nos paupières closes, descendaient des myriades de rayons d'une clarté aveuglante et des étincelles aux mille couleurs. "
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Les femmes de la guerre : solidarité
" Etait ce le fruit de nos prières ou de nos pensées, le miracle parfois se produisait. Certains prisonniers réapparaissaient. En sabots de bois et dans leurs habits d'autrefois, ils étaient aux champs. Ce retour inespéré renforçait encore la cohésion et la solidité des liens. Quand aux femmes, elles se montraient exemplaire. Non seulement elles ne succombaient pas aux " charmes" du nouvel occupant (boche) mais elles offraient leurs bras pour remplacer ceux de leurs hommes qui croupissaient derrière les barbelés, quelque part en Allemagne. Elles ne rechignaient pas à la fenaison ni à la moisson ou à tenir le manche de la charrue. Lorsque les cartes d'alimentation firent leur apparition, elle faisaient preuve d'une imagination bouillonnante: avec des grains d'orge grillés, elles firent le café pour le petit déjeuner et le quatre heures. Avec du saindoux et des feuilles de lierres, elles vous fabriquaient du savon qui ne moussait pas mais qui décrassait, voir même décapait ferme si on y ajoutaient quelques pincées de cendre. Dans le jardin, elles plantaient du tabac pour contenter les hommes. Dans les prés, elles élevaient des brebis pour la laine dont elles tricottaient des pulls, des chaussettes, et des caleçons d'hiver. Il n'y avait pas de semaine sans qu'une nouvelle invention ne germât dans la tête des femmes. Tant qu'elles seraient là, le pays vivrait et l'espoir ne s'éteindrait pas. "
Les forgerons/maréchaux-ferrants :
" Dans leur antre Obscure au feux de braise, ils étaient des artistes, façonneurs de fer et jongleurs d'étincelles, musiciens d'un unique refrain aux notes nostalgiques tirées d'un instrument étrange qui s'appelait l'enclume. et qui se répandaient comme un glas sur la campagne. Il y avait chez ces hommes quelques réminiscences qui venaient de très loin, de ces temps très anciens, époques primitives du feu, du fer dont on percevait dans les vents d'ouest les incantations rituelles. Nous rentrions tous les deux, (mon cheval et moi). Luis, tout heureux hennissait et se mettait au galop. Ses sabots chaussés de fers neufs sonnaient clair sur les pierres du chemin et le bruit qu'il faisait se mêlait en harmonie curieuse à l'écho des enclumes qui se répondaient de loin. "
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Les vents :
" Dehors, il faisait un vent à écorner les boeufs! Mais Yves était un oiseau du dehors, il avait le don de dompter les vents. (Avec lui) nous sentions à l'abri, pourtant, au dessus de nos têtes, les feuilles affolées voltigeaient en tous sens. Il suffisait d'entendre la plainte des branches dépouillées pour savoir que la bourrasque n'était pas tombée. Est ce un compte pour enfants? d'une certaine manière, mais l'histoire est vraie aussi. Car le vent, c'est le souffle, c'est l'air que l'on respire, la caresse de la brise, l'oxygène à plein poumon, la vie! m'ais c'est aussi la tempête, la destruction et parfois la mort. Les vents parlent différents languages, ils faut savoir les écouter et les comprendre pour les apprivoiser et qu'ils ne deviennent pas une de ces bêtes déchaînées et indomptables. Je me souviens de la sarabande des sapins quand, du large, les vents les frappaient de plein fouet, comme ils prenaient des formes étranges! (Mais celà c'était avant)... Aujourd'hui, le combat est inégal. Les pins ont vieilli, certains sont morts, pour faire place à la route nouvelle. Devant nous, la plaine! des monts d'Arrée à la mer, la plaine dénudée est devenue le royaume des vents. Ils s'en donnent à coeur joie, bousculant les nuages dans une débandade fantastique. (Mais) Au sol, seules quelques herbes frissonnantes et des vagues de cotons à la surface de eaux. Mais le magicien a perdu sa baguette: plus de talus pour couper les vents, plus de haies pour les briser, plus de chemins creux pour les repousser. La nature ne joue plus. Les hommes en leur folie, ont tout rasé. Le dompteur de vent n'existe plus. Les vent ont pris leur revanche. "
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Les battages :
A quatre-vingt ans, an Tad faisait encore partie de l'équipe. Des bras, il n'y en avait jamais de trop. Le corps noueux, tordu de rhumatisme, notre vénérable patriarche Il avait l'oeil vif et en oubliait les douleurs quand certains d'entre nous faiblissaient. Il veillait au grain. Il avait aussi l'oreille, qu'il collait à la machine pour déceler le petit bruit précurseur d'une panne. Il ne savait que trop ce que signifiait la disette. Certains soulevaient la paille, d'autres l'entassaient dans le hangar. Ils ne rechignaient pas à l'effort. Les porteurs de paille devaient faire leurs preuves, montrer leur résistance et leur ténacité: Ne jamais se plaindre, toujours respecter l'autre s'il venait à fléchir, et en silence, lui venir en aide, et cela quelles que soient les intempéries. Quand venait la dernière gerbe sous nos applaudissements, la batteuse poussait un hurlement pour dire au pays que nous avions fini. Alors le maître des lieus nous régalait. Mais la fatigue pesait tellement que la joie restait prisonnière tout au fond de nous. Dans le silence, l'émotion était profonde, et les sourires attendris éclairaient les regards. Une même pensée nous traversait. Nos petits enfants évoqueraient-ils encore le temps des battages? de la morsure des muscles, des gerçures des lèvres, des doigts usés aux ongles élimés ou des yeux auréolés de cernes? Non, ils évoqueraient le plaisir d'être ensemble, le partage de l'effort, cette joie intérieure primitive, silencieuse, muette. Le but atteint après une longue marche sur les semailles et les moissons. Ils parleraient de la lente ascension vers les greniers d'abondance où le grain assurerait les hivers. (Ils diraient) c'était le bon temps du battage.
La langue de chez nous :
"Avec mes camarades, nous jouions en breton, dénichions des oiseaux, pêchions des loches, grimpions aux arbres ou gardions les vaches en Breton. A celles-ci, pas un mot de français, elles n'auraient pas compris et vous auraient fixés de leurs gros yeux. Il ne nous serait pas venu à l'idée de parler aux chevaux autrement qu'en leur langue. Les hommes (de France) n'imaginaient pas que la langue maternelle était un tatouage indélébile, nichée dans les cellules au plus profond de notre cerveau. Ils prirent peur quand ils surent le breton tenait bon. Ils ne voyaient pas la peine de ces enfants, leur visages blêmes et leurs larmes, quand pour un mot de breton, un seul mot appris sur les genoux des parents et des grands-parents, ils étaient punis du galet de la honte.
j'entends encore ces "brûlots" qui s'allument pour la ranimer sont ils les feu d'un phare ou des fanaux en veille? rassurante dans la bouche d'Aline, au pas rythmé sur l'attelage d'Yves, éraillée et sage par les ans chez an Tad, gouailleuse chez Louis, piquée d'humour dans la bouche d'Yvon, rieuse dans celle d'Albert, babillarde au lavoir, chantante sous les voute de la chapelle, chuchotée et traquée dans la cour de l'école.
Elle est dans les champs, dans les chemins creux, à l'abri des talus, sur l'aire à battre, dans le pré et les foires, aux concours de galoches et aux veillées d'hiver, dans les nuits clandestines de la guerre et l'émotion de la libération, dans les danses des pardons et au chevet des morts, dans les cantiques et les prières, dans les rires et dans les larmes, et aussi dans les jurons. Elle est au petit matin, et le soir au coucher. Elle est aux arrivées et aux départs, elle est l'accueil à bras ouverts et aux adieux aussi, les mains fermées sur le mouchoir. "
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La montagne noire aux reflets arc en ciel :
La montagne fut mon décors d'enfance. Avec les saisons, j'eus la surprise de la voir changer : montagne caméléon! dés le mois noir (novembre), elle revêtait des habits de deuil dans les teintes gris sombre. Lorsque la neige fondait, elle s'habillait de vert. Le printemps explosait, allumant sur l'écran les rayons d'or des ajoncs en fleurs. Puis venait l'été: les tons viraient au bleu qui se confondaient avec la chaleur bleutée que la lumière du jour versait du ciel. Brûlés par le soleil, quand la campagne recouvrait son silence, les bleus se fondaient à leur tour dans la douceur de teintes pastelles. Alors la montagne se mettait au diapason de cette nature qui basculait déjà vers l'automne dans des tons rosés. Puis le rose prenait du corps, au pied des premières collines. Telle des ombres chinoises, les sommets semblaient flotter sur la houle nuageuse. La paix émanait de ces paysages de contes de fée, dans la senteur des foins coupés, des fleurs de bruyères et des sapins. Je respirais la montagne et m'enivrais avec délice de ces parfums mêlés (et des lumières arc en ciel sur la montagne noire).
La brume était légère, blanche telle une écharpe de mousseline suspendue qui s'enroulait à plaisir dans les plis du terrain. On les appelait les écharpes du deuil. An tad racontait aux enfants que ces voiles, à l'entrée de l'hiver, servaient à ensevelir les morts pour leur tenir chaud durant la saison froide. Il disait aussi qu'au printemps, les morts se débarrassaient du " linceul blanc" et s'échappaient des tombeaux pour assister les vivants dans les travaux des champs. Chaque année, les écharpes de deuil revenaient afin que les morts soient toujours aux côté des vivants, jusqu'à la fin des temps.
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La veillée :
Il arrivait que, dans l'isolement où l'hiver nous encerclait, un voisin frappe à la porte pour se réchauffer, et par sa présence, resserrer les liens du vieux pays. Alors, spontanément, notre cercle se fendait pour qu'il y trouve une place et François Louis servait au visiteur un verre d'alambic et une friandise qui rougissaient ses joues. Etait ce le sentiment de plénitude que les gens recherchaient quand ils se réunissaient entre voisins? Le pays était invité. Ensemble, Il bravaient la pluie, le froid, la neige, se serraient autour du feu. Le rire était convié, l'humour, la plaisanterie, mais le sérieux aussi; autant d'ingrédients dont se servait un magicien pour créer entre nous une solidarité palpable et si douce à nos épaules. (comme un châle) Le conteur d'histoire donnait à ses mots la fougue, la couleur et le charme, quelque fois la trame d'un conte de fée dans le royaume de nos "films" du soir. Quelques braises sous le duvet des cendres clignaient encore des derniers feux (pour prolonger) la douceur de vivre ici. Combien il était dur de se lever, de mettre fin à la soirée, de saluer les uns et les autres, de gagner la chambre, pour y trouver l'obscurité et le froid, mais une bouillotte glissée par une main maternelle sous les couvertures et l'édredon de plumes parvenait à nous apaiser doucement. Et demain, la veillée serait là. Alors le rêve nous rejoignait pour suivre la virée noctambule des korrigans malicieux. Pendant la nuit, à la lueur pâle d'une bougie posée sur la patine du lit clos, des ombres tassées l'une contre l'autre se tournent vers la flambée des braises dans la cheminée. Ce sont les veilleurs de feu qui se réchauffent le coeur aux feux de la famille. (les ancêtres veillaient sur nous ) éveilleurs de curiosité, allumeurs de rêves et ouvreurs des portes des royaumes, pour que les enfants tracent de leur tisons des fresques lumineuses et engrangent les mots dans leur mémoire...
Brocéliande :
Bientôt j'eus la certitude que ces lieux, de plus en plus chers à mon coeur ne pouvaient ne pouvaient être que la forêt celtique originelle, sauvée des naufrages antiques. Comment ne pas situer là le refuge de Merlin l'enchanteur et de la fée Viviane et faire revivre les rescapés de la légende d'Arthur? Ces glaives de lumière au travers de la futaie dans les jours d'été n'étaient-îls pas les reflets d'Excalibus, l'épée divine du roi Arthur? Cet écho nostalgique qui répondait à voies enfantines de gardiens de chèvres ou de pêcheurs de loches dans la rivière, n'était-il pas le chant désespéré des chevaliers? Ce lieu secret de l'arbre de houx n'était-il pas l'autel sacré vers lequel les druides, faute de gui, convergeaient pour célébrer l'an neuf dans une mystérieuse cérémonie auquel tous ces personnages de légende étaient conviés.
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Les lavandières :
Notre lavoir, deux fois par semaine, revit au rythme de leurs bras et l'écho des coups qu'ils frappent sur les tables d'ardoise résonne au fil du jour dans la carène verte. Dans l'eau bouillante du chaudron mitonne le linge. Des fagots de bois nourrissent le foyer. Je connais ces femmes en noir sous leur coiffe blanche, aux doigts gourds du rude travail, quand le froid gerce les chairs et que se cassent les reins sur la table de pierre. Mais malgré les efforts qui les broient, elles sont si accueillantes et ont toujours le sourire...et la langue alerte! C'est un "journal oral" ouvert à la page des nouvelles locales. Où vont-elles chercher tant d'histoires? Auraient-elles le choix de changer de métier qu'elles ne le feraient pas. Elles aiment celui-ci avec cette fierté de l'effort accompli. Regardez leurs mains! regardez les pétrir, frotter, brosser, battre, essorer. Mains blanches dans les eaux mousseuses, épaisses et gonflées, soufflées d'engelures, fissurées de gerçures, mains aux doigts noueux, déformées par les rhumatismes, comme celles de ma mère et de ma grand-mère. Je regarde ces mains qu'elles viennent tendre aux flammes du foyer, moment de détente où les reins se redressent, les langues s'arrêtent, le souffle reprend. Mains exsangues offertes au feu, qui peu à peu se colorent. Le sang coule à nouveau, les doigts se plient, s'étirent, retrouvent leur souplesse et leur agilité et les visages parcheminés s'illuminent. Mais un matin, elles sont arrivées, les machines énormes appelées Bulldozer. Un large remblai arrivait à hauteur du lavoir et l'effaçait du décor. A sa place, une large route conduisait aux fermes. On y filait si vite que le temps de se saluer, de bavarder, de regarder n'existait plus. L'exubérance désordonnée de la nature n'est qu'un vain camouflage. Sous lui dorment les vestige d'un passé qui ne peut s'effacer. Il suffit d'un regard vers le fond d'un ruisseau pour qu'il se réveille et retisse les liens de la communauté.
Extrait de l'herbe d'or de Pierre Jackez Helias
" J'ai vu ton visage et tes mains quand les vents se calent dans les mauvais trous, quand la mer commencent à lever comme une énorme pâte. Ce n'est pas de la peur, mais de la fièvre d'attendre. Ton visage s'éclaircit, ton sourire crêve de joie. Tes yeux trahissent l'éclat du triomphe contre ce démon d'océan qui mobilise toutes ses forces pour t'engloutir sans jamais y arriver. Tu voudrais l'enchaîner comme (tu le ferais) d'une mare à grenouilles, tu voudrais le mâter. Tu te crois défié par lui comme si il t'en voulait personnellement. Tu es fou de la tête dans ces moments là, tu as le feu sacré...mais c'est cette folie là qui me plaît. (qui me rassure)
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