Etre utile aux autres
En Bretagne au début du siècle, il n'était pas un métier qui ne soit pas utile, autant à celui qui le pratiquait qu'au service des autres. L'artisan créait, pensait, innovait; l'homme de religion servait d'intermédiaire pour sauver son prochain, l'amoureux de la nature en exploitait avec respect les ressources, offrant ainsi une nouvelle vie et mission aux éléments, et les plus pauvres trouvaient du bonheur à exercer leur talent pour aider les autres.
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Dans le ciel sombre de novembre, les nuages ont cessé de sourire au passant. La pluie, le vent d'Ouest menacent de tout emporter. C'est le mois noir. Dans les chaumières, un bon feu de cheminée réchauffe l'atmosphère et redonne des forces après une dure journée de labeur. Quelques bougies apportent encore de la douceur. Lorsque les derniers invités arrivent, le conteur va pouvoir retransmettre les histoires héritées des ancêtres depuis plusieurs générations... du moins celle que dame nature ne lui aura pas encore inspirées. Le silence règne pour mieux capter chacun des gestes qui accompagne le récit. Avec des intonations choisies, il crée une atmosphère, des sensations, des émotions, pour chacun des personnages qu'il met en scène. Il donne naissance à des rêves, fait revivre des lieux oubliés. Sur une toile imaginaire il tisse un tableau de légendes.
Ainsi, chaque soir vers 23h, le crieur de nuit tapait de son bâton pour éloigner les éventuels voleurs ou ivrognes bagarreurs qui seraient encore dans le coin. Il vérifiait qu'un début d'incendie n'avait pas eu lieu et que les portes des petits commerces du village étaient bien fermées. Vers 3h du matin, il pouvait aller rejoindre les bras de Morphée. Le lendemain, un autre " crieur" annonçait les titres du journal du jour, rappelait les jours d'ouverture du marché ou tenait le public informé des changements à venir, c'est le garde champêtre. Ne croulant pas sous le travail comme bon nombre de ses amis, les petits délits n'étant pas aussi fréquents qu'aujourd'hui... il en avait le temps. Oyez! Oyez! brave gens!...
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Ancêtre de l'ostéopathe, un peu rhumatologue à ses heures, et même vétérinaire dans les cas extrêmes, il exerce son savoir, souvent reçu de son père qui le tenait lui-même de son père... Souvent établi à la campagne , le rebouteux a le secret des plantes. A l'aide de cataplasmes et de remèdes, doté d'un intuition et d'un sens du touché hors du commun, il se met soudain à parler d'autre chose pour détourner l'attention de son client avant de remettre en un tournemain l'os en place. Comme par miracle, le lumbago va mieux, l'épaule démise est " réparée". Il conseillera aussi quelques bons bains de boue pour finir le travail. Si les médecins de la ville, un peu jaloux de son talent, lui donne une réputation de sorcier, les villageois, eux, se montrent reconnaissants et lui témoignent du respect. Selon la tradition, un don reçu de ses ancêtres doit être transmis à son tour mais doit être rémunéré plutôt en nature qu'avec de l'argent. C'est d'ailleurs ce qui différenciait un vrai pratiquant d'un charlatan...
Deux serviettes croisées par une croix de cire, une assiette contenant de l'eau bénite, quelques bougies blanches allumées et une branche de buis étaient tristement posés sur une nappe blanche, sur l'unique table de la maison dans la cuisine. Sur l'île d'Ouessant à lieu une proella. La prieuse du village est chargée de mener la cérémonie en l'honneur du marin échoué en mer. La famille et les amis compatissants sont tous là, emplissant la chaumière, dans la chaleur réconfortante d'un bon feu de bois. Ils chantent des psaumes et récitent des prières à la mémoire du défunt. La croix de cire sera conservé à l'église jusqu'au 1er novembre, jour de la toussaint, puis déposée au cimetière des marins où d'autres croix déjà éteintes sommeillent et veillent à ramener à la famille l'âme du cher disparu.
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Revêtu d'un chapeau de paille pour se protéger du soleil, d'une chemise en lin tombant sur un pantalon de drap, et d'une paire de sabots, les valets de fermes souvent saisonniers étaient recrutés sur le tas. Quand aux domestiques et servantes, de préférence célibataire et munies d'une lettre de recommandations, d'une bonne dose de courage, et requérant peu de besoins, elles trouvaient, pour un salaire de misère, de quoi subsister au sein d'une famille aisée. Dés l'aube au coucher du soleil, ces hommes et femmes " à tout faire" ne comptait pas les heures pour s'occuper du ménage et des enfants, nourrir les animaux et mener au pâturages moutons, vaches et chevaux , entretenir le jardin, et apporter des bras supplémentaires aux travaux des champs. Le soir venue, il fallait encore nettoyer l'écurie. Seuls les plus chanceux étaient rémunérés en pièces sonnantes et trébuchantes; leurs semblables étant plus souvent payés en vêtements, coiffes ou une paire de sabots ouvragés. Un employé de qualité pouvait gagner sa place à l'année.
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Aux XIXe siècle, et encore aujourd'hui en Bretagne, personne ne rechignait à la tâche. C'était aussi le cas de toutes ces " petites gens" au savoir admirable qui assuraient sans relâche la nourriture pour tout le village. Le pain était préparé dans le four de la ferme ou du bourg pour être ensuite vendu sur le marché ou sur une charrette ambulante. La tradition exigeait d'ailleurs que le maître de maison mette des miettes de pain dans sa soupe pour éviter qu'un malheur ne s'abatte sur la maisonnée. (Mon grand-père le faisait régulièrement ). Avec le lait de ses vaches, la fermière faisait du beurre et du fromage que des clients réguliers venaient quérir. Pendant ce temps, le poissonnier préparait le produit de sa pêche dont l'odeur ne manquerait pas d'attirer les quelques touristes et visiteurs du port. Les crustacés étaient, et sont encore, ramassés directement sur le sable à marrée basse, pour la consommation personnelle ou dans le but d'être revendu. Citons aussi le meunier et sa farine, sans qui l'eucharistie n'aurait pas pu être célébrée chaque dimanche pendant la messe... En pays Breizh, on ne plaisantait pas avec ca! N'oublions pas non plus le charbonnier, sans qui les crêpes de sarrazin de la semaine n'aurait pu profiter d'un bon feu de bois dans la cheminée pour nourrir femmes, enfants et surtout les hommes qui rentraient d'une dure journée de labeur aux champs. Citons enfin la commissionnaire, coursière de service qui, du haut de sa charrette, s'arrêtait de ferme en ferme pour proposer ses services : " Avez vous besoin de pain, de farine, de lard ou de fromage? je peux acheter pour vous du fil ou des boutons, ou encore de la laine"... Du matin au soir, au pas d'un vieux cheval de trait, elle ne comptait pas ses aller-retour entre la ferme et le marché.
"Munie de trois objets ayant appartenu à la victime, assise à croupetons au fond d'un panier à goémon, godillant avec un croc à varech, son tablier noir gonflé comme un voile, rejoint dans son frêle esquif le Sabbat de mer où elle confiera à la mer sa victime...." Explique Patrick Denieul dans son livre " Vieux métiers de Bretagne". La voueuse, ou sorcière du village était elle aussi toujours bien intentionnée pour ses clientes....pour les débarrasser d'un homme infidèle, d'un commerçant un peu trop pointilleux sur les tarifs, où encore régler une affaire de famille ancienne... Au service de la famille, elle fait le travail que nul ne se risquerait à faire sous peine d'une place bien méritée en enfer. Tous le monde sait que, passé la période de repentir, le vouage sera annulé...elle ne risque donc pas grand chose...
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" L'Echo du Finistère, demandez l'écho du Finistère!!! avec la deuxième partie du feuilleton " le drame du Rosmeur", hurle le crieur de journaux d'une voix de stentor!... "trois navires disparus cette semaine dans la tempête ...." Toujours à l'affut des dernières nouvelles, les passants se ruent pour être le premier au courant. Au port, la frégate " Anne de Bretagne" vient d'arriver. Les marins, contents de retrouver enfin la terre ferme s'avancent vers le vieil homme, histoire de se replonger dans le quotidien : le retour au pays. Un peu plus loin, d'autres cris attirent la foule : " Ustensiles de cuisines pour la ménagère, bonjour madame, ce magnifique foulard ira très bien avec vous!..." Perché sur une lourde charrette tirée par un cheval, le chiffonnier rapporte des fermes avoisinantes tous les objets qu'il a pu collecter pour quelques sous. " Ce tissus vous fera une bien jolie robe, mademoiselle! et un chapeau de velours pour monsieur!.. C'est sur qu'avec ca, vous allez bientôt trouver la dame de vos rêves!... En Bretagne, au XIXe siècle, tout peut se réparer et se revendre dans un joyeux brouhaha de commérages de bonnes femmes au retour du marché local...
Avec force plantes, infusions et quelques incantations bien choisies, l'accoucheuse, de ses mains expertes, soulage la mère endolorie d'un joyeux fardeau. Un heureux évènement arrive à son terme! Une fois son oeuvre menée à bien, si le divin l'a permis, la faiseuse d'ange malaxe délicatement le crane du bébé qui vient de naître, il n'en sera que plus beau, pensait-elle. Quelques goutte de vin sucré dans la bouche du nouveau-né lui apportera force et santé... Enfin elle l'emmaillote dans un linge serré pour lui éviter des douleurs au ventre. L'accoucheuse accompagnera les parents lors du baptême de l'enfant.
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Dans un village du Morbihan, Padrig était tailleur de son métier, mais pas que.... il exerçait, selon lui, le plus beau métier du monde, celui de Bazvallan ou " messager d'amour". Sur son bâton de laurier, était accrochée une branche de genêt en fleur, symbole de l'amour et du mariage. S'exprimant comme il avait apprit à le faire avec une grande éloquence, il installe un climat de confiance et de gaité pour que la demoiselle avec qui il a rendez-vous lui expose l'histoire de sa famille. "Et n'oubliez pas les détails, s'il vous plaît!" Non pas qu'il soit son amant, non! bien au contraire, c'est grâce à ce charmeur né qu'elle trouvera sans doute un époux à sa convenance. Plus il y aura à raconter à la famille du prétendant, et plus les chances seront grandes! " Combien les étables de votre père contiennent-elles de chevaux? Combien de moutons dans vos pâturages, avez vous eu une belle récolte cette année? Ce grand poète a l'art de mettre en valeur les moindres avantages personnels de la dame et de sa famille...quitte à... en rajouter quelques " miettes" ou déformer quelque peu la vérité. Après tout, on le rémunérait pour cela. Et surtout son art comportait un certain nombre de réponses toutes prêtes à opposer aux éventuelles objections. Tout dans l'art et la manière de plaire, cet ambassadeur complice allait de famille en famille, au pas léger et joyeux de sa baguette fleurie.
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