Les petits métiers de la foi
En Bretagne, les pardons ne se limitaient pas seulement à renforcer la foi religieuse des bons samaritains. C'était aussi une occasion de se réunir quitte à...se rapporter les derniers potins du village. Aussi les plus malins savaient très bien comment en tirer profit, et d'une manière tout à fait honnête. Les gens de métiers tenaient là un excellent moyen de montrer au peuple l'étendue de leur savoir-faire. Après tout, un miracle était toujours possible après une telle cérémonie, pensait-on. De plus, si un pardon se devait d'être austère, le sérieux n'empêchait pas la gaité. Dans une féérie de costumes richement brodés et colorés, apparaissaient déjà les premières bannières et les statues portées sur l'épaule des pèlerins. La foule ne tarderait à passer devant les échoppes de fortune des artisans et des commerçants. Il est bon de rappeler qu'au XIXeme siècle en Bretagne, l'aspect tant physique que vestimentaire était signe extérieur de richesse... où de pauvreté, et facilement sujets à quolibets. Il était alors de bon ton de se refaire une petite beauté et être en pleine possession de ses moyens pour paraître devant le seigneur! faute de quoi il risquait fort de perdre son âme, disaient les bonnes langues du pays...
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Parmi ceux qui allaient " purifier " la leur en contribuant à cette bonne action, le plus rusé de tous, c'était l'arracheur de dents! et sa sempiternelle promesse que " Ne vous inquiétez pas, je maîtrise la situation, vous ne sentirez rien!" ... En fait, le but du jeu était plutôt ... de " faire passer la pilule" par un jeu de passe-passe savant et de belles paroles pour détourner le patient de ses sombres craintes du moment... quitte à le faire rire! tant qu'il ouvre la bouche... Ceci dit, la fin justifie les moyens, et l'arracheur de dents avait toujours dans son giron une potion miracle.... ben oui, c'était le bon endroit! faite d'un mélange d'opium et de miel qui avait, disait-on, un effet anesthésiant.... à condition toutefois de les associer à quelques prières. Un autre remède de " grand-mère" consistait à faire mâcher du chardon bleu qui ensanglantait les gencives, probablement pour faire sortir le mal. Quelques bons gestes rapides plus tard, l'affaire était dans le sac " où plutôt la dent. Car comme le précise Patrick Danieul dans son livre " Vieux métiers de Bretagne", si un chien passait par là et emportait la dent, c'était un passeport pour l'enfer pour son propriétaire...d'après la légende.
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Une expression qui aujourd'hui ferait bien rire les enfants : la célèbre " coupe au bol" du barbier. Une toile, deux piquets plantés en terre, quelques chaises, faisaient une boutique ambulante acceptable... et transportable. L'histoire ne dit pas ce que l'on pouvait bien y raconter... on dit que les femmes étaient commères... mais chez le barbier, les hommes ne s'en privaient pas non plus...entre deux coups de ciseaux et de rasoir. Une fois le fameux bol retourné sur le crane du chevelu, il devenait facile d'enlever les mèches rebelles qui en dépassaient. Les femmes n'étaient pas concernées, elles portaient la coiffe. Et mieux valait qu'elles ne soient pas dans les parages car la plaisanterie allait bon train....
Elles, par contre n'avaient quelquefois que leurs yeux pour pleurer de la perte de leur cheveux. Le niveau de pauvreté sévissant en Bretagne à l'époque, les obligeant parfois à vendre leur "parure " naturelle, celle sur laquelle a ruisselé un jour l'eau bénite du bâpteme... aussi cet acte était-il de mauvaise augure et assez mal vu. D'autant plus que le commerce des cheveux était lucratif pour le marchand qui, les ayant achetés pour une somme dérisoire, revendait à prix d'or les tresses qu'il avait confectionnées... mais la pauvresse avait-elle le choix? elle repartait chez elle avec quelques sous en plus ou un mouchoir brodé, portant sa honte et son déshonneur, mais aussi celui de son époux, sous un bonnet de laine, bien caché sous la coiffe.
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Dans un pardon, on ne faisait pas que prier, on chantait aussi. Le chanteur de complaintes avait pour fonction d'entrainer et d'unifier la foule autour d'un même refrain, parfois gai ou nostalgique. Les complaintes pouvaient être l'oeuvre d'un vagabond de passage, d'un troubadour romantique qui évoquait sa belle, un marin qui avait le mal du pays, un meunier qui écrivait tout en surveillant les ailes de son moulin, ou encore un berger qui faisait passer le temps...Elles racontaient souvent les faits divers, les petites histoires du village, ou les petits tracas du quotidien, l'auteur épanchant sa soif de partage. Au fil des années, reprises par la descendance comme le sont les comptines des enfants, elles sont aujourd'hui des reliques précieuses en langue bretonne, témoins d'un passé souvent oublié. La religion étant liée à tous les actes de la vie quotidienne, les contraintes étaient chantées lors des pardons. Aussi, le chanteur proposait-il pour quelques sous des feuillets contenant les textes des chansons.
De tous les métiers qui accompagne la foi des croyants, la palme d'or reviendrait au sacristain: en un mot l'homme à tout faire de l'église, et la liste était impressionnante, jugez plutôt! :
* Il sonnait les cloches (au sens propre...) mais au figuré aussi car il avait entr'autre fonction de rétablir le silence et l'ordre au sein de l'église et pendant l'office.
* Il avait la charge d'annoncer les nouvelles de la paroisse, les décès survenus dans la semaine, et les évenements à venir, haut perché sur les marches du calvaire pour être entendu de tous.
* Au sein de l'église : Il dirrigeait les enfants de coeur et préparait la messe, entretenait les objets de culte, s'occupait de la quête, chantait les cantiques et jouait de l'armonium ou du " serpent" (sorte de trompette recourbée)
* Il accompagnait le prêtre chez les notables et prenait part au déjeuner.
* C'est encore lui qui emmenait le défunt et qui l'enterrait, vétu lui-même d'une cape "décorée" de tête de morts, histoire de rappeler aux familles leurs obligations envers les anciens.
* Il devait veiller à ce que la lampe à huile du sanctuaire reste allumée de jour comme de nuit.
* Enfin il guidait et dirrigeait la procession lors des pardons.
Sa rémunération lui accordait entr'autre le privilège de se délecter à loisir de la " cuvée de l'église" ... en plus de son salaire. Mais il bénéficiait surtout d'une grande considération et d'un haut statut social de part son action plus que bénéfique auprès des fidèles.
Dans les petits métiers de la foi, le cirier et l'imagier servaient l'église de la manière la plus honorable qui soit puisque leur labeur non seulement accompagnait la prière mais aussi contribuait, dans l'esprit du croyant, à la réalisation des voeux et des miracles.
" La résine fondait dans un vieux chaudron. Pendant ce temps, on tressait une cordelette de chanvre ou de lin, ou encore de vieux morceaux de tissus pour faire la mèche que l'on trempait et roulait dans la résine bouillante. Puis, les mains mouillées, on roulait la baguette obtenue sur les dalles froides pour en faire un cylindre : la chandelle. Il existait aussi des moules à chandelles, tandis que les cierges étaient réalisés dans une " romaine", (cercle de bois garni de pointes). La cire, produit de luxe à l'époque, était réservée aux châtelains et aux recteurs.
L'imagier était un peintre religieux qui reproduisait sur les murs des fermes du village les statues et icones des saints avec " un symbolisme d'une qualité rare et un sentiment très précis de la réalité". Aux saints se mêlaient aussi quelquefois les ancêtres, l'ensemble de la scène apportant la protection divine sur la maisonnée. Il recréait aussi des statuettes blanchies à la chaux à l'image de celles des églises.
Le jour du pardon n'excluait pas les vendeurs ambulants qui y trouvaient une clientèle de choix. Ainsi, parmi eux se trouvait le marchand d'objets pieux : cierges, eau bénite recueillie dans les fontaines miraculeuses, médailles à l'image des saints de la région, chapelets en bois, statuettes de la vierge et images pieuses. On oubliait pas non plus de ramener un petit souvenir aux absents.
Et enfin, marcher pendant des heures, ca donne faim ! la marchande de biscuits et de berlingots étaient au rendez-vous, de même que le ou la crêpière sur ses billig, pour terminer cette journée dans la joie et la bonne humeur, au son du biniou, de la bombarde, du violon et de la veuze (sorte de cornemuse).
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